En guise d’introduction :
« Platon dans sa république qu’on croit si austère n’élève les enfants qu’en fêtes, jeux, chansons, passe-temps ; on dirait qu’il a tout fait quand il leur a bien appris à bien se réjouir » Jean-Jacques Rousseau, Emile ou de l’éducation, Traité d'éducation portant sur « l'art de former les hommes », 1762, p 450. Par cette évocation de la réjouissance naissant de l’apprentissage, cette citation de l’écrivain, philosophe et musicien genevois francophone s’inscrit parfaitement en introduction de notre propos. En effet, le rêve absolu du pédagogue d’élever la transmission du savoir au rang du jeu est notre postulat de départ. Ainsi, l’enseignement conçu autour de la notion de plaisir serait le premier pas vers l’épanouissement de l’adolescent apprenant. Afin d’étayer notre étude, nous nous appuierons sur l’un des items cités par Jean-Jacques Rousseau, à savoir la pratique du chant. Activité humaine par excellence mais aussi élément clé des programmes d’Education musicale dans l’Enseignement national français, la pratique vocale en classe sera ainsi au cœur de notre propos. En ces temps de pandémie où incertitude rime avec inquiétude, les adolescents voient leur construction identitaire mise à mal par les restrictions. En effet, dans une société déjà fragilisée par les symptômes d’un profond mal-être (réchauffement climatique, crise économique, menace terroriste…), les perturbations liées à la COVID-19 entraînent auprès des scolaires un accroissement des situations d’angoisse et de perte de confiance en l’avenir. De plus, le confinement du printemps 2020 semble avoir accru la problématique du décrochage scolaire et la perte de confiance dans le système éducatif. Aussi, même si les contraintes du port du masque et l’usage de la distanciation sociale sont également le lot d’un cours d’Education musicale, nous allons nous pencher sur le rôle primordial que revêt la pratique vocale actuellement, le chant apparaissant comme une activité épanouissante, libératrice et propre à véhiculer des valeurs universelles. Nous nous attèlerons donc à débattre ici des questions suivantes : - De façon générale, comment la pratique vocale participe-t-elle au développement de l’adolescent ? - En quoi la pratique vocale permet-elle de mieux vivre les contraintes de la pandémie dans le cadre scolaire et devenir un levier pour surmonter les difficultés cognitives voire le décrochage scolaire ? I. La pratique vocale au service du développement de l’adolescent 1. Le développement de l’adolescent et son rapport à la voix : « J’étais adolescent ni ange ni trop bête Ce temps-là est révolu Je ne le reverrai plus Et s’il m’arrive de croiser sur mon chemin Un de ceux qui ressemblent à celui que je fus Je lui fais un salut, un signe de la main C’est mon adolescence que je salue » Georges Moustaki, L’adolescence, 1977 « L’adolescence est une période de construction, il faut se chercher une identité et se faire une place dans le monde et dans la société [1]». En effet, dès 11/12 ans, les transformations corporelles et le développement psychiques des adolescents sont intimement liés, ces adultes en devenir étant particulièrement inquiets des chamboulements physiques qu’ils vivent. Selon Valérie HAUSWIRTH et Joséphine RAPP, doutes, conflits et recherches sont les principales manifestations des bouleversements psychiques que traversent les adolescents. Ainsi, les principes moraux avec lesquels ils vivaient jusqu’alors sont remis en question : leur regard sur le monde change et ils veulent vérifier par leurs propres moyens tout ce qui était établi comme des « vérités » par les adultes. De plus, l’adolescent se construit une identité propre et forge son caractère. Ses besoins changent et il réclame à ses parents des éléments propres à s’identifier à ceux de son âge (vêtements, outils numériques comme le smartphone, sorties avec ses ami(e)s…). Cela peut passer par des conflits comme en témoigne cet extrait de chanson de façon humoristique : « T’as eu beau plaider que tes copines l'ont déjà depuis longtemps "Le téléphone dans la chambre c'est non ! " Tu quittes la table en hurlant, vivement que t'aies 18 ans Ca y est ton père s'énerve, t'as gagné, tu peux être contente […] Tu claques la porte de ta chambre, couverte d'autocollants "Do not disturb" des hôtels accroché à la poignée » […] Bénabar, L’adolescente, 2007 Les conflits dans la sphère familiale mais aussi dans le domaine scolaire peuvent être nombreux et générer des situations compliquées pour les enseignants. Tout comme les parents, les professeurs agissent en garde-fous pour que l’élève puisse exprimer ses revendications, sans que ces dernières ne mettent à mal son développement. Ainsi, « si l’enfant secoue le prunier, ce n’est pas pour qu’il casse, c’est au contraire pour s’assurer qu’il ne cassera pas et qu’on peut compter sur lui au milieu de cette tempête intérieure et extérieure qui semble devoir tout emporter [2]». L’enseignant d’Education musicale par l’ouverture sur l’affect que permet sa matière n’échappe pas à ce tourbillon émotionnel. Il n’est d’ailleurs pas rare que les adolescents aient des comportements exacerbés dans les cours où l’expression est mise en avant (Musique, arts plastiques, EPS entre autres) « Et c'est que le débute de la fameuse histoire De l'adolescent X qui crie, "je veux qu'on m'aime" L'adolescent cynique qui avance dans un système Qui est pas fait pour lui » Lynda Lemay, L’adolescent X, 1990 Le corps et donc la voix vont changer considérablement à l’adolescence. Cette instabilité transitoire sera d’autant plus marquante pour les garçons, qui traversent la mue. Aussi, une inhibition est souvent constatée chez ces élèves. Celle-ci est due à la perte du plaisir spontané de chanter quand le corps ne « répond plus » comme avant. Il convient de prendre en considération cet impact émotionnel en classe d’Education musicale. En effet, cette voix connue depuis la plus tendre enfance ne réagit plus de la même façon, voire devient hors de contrôle pendant la mue pour les garçons. Il y a donc tout un préalable à la pratique vocale de l’ordre de la mise en confiance. De ce fait l’enseignant doit d’abord générer un climat propice à la détente et à l’écoute bienveillante avant même de penser à faire chanter ses élèves. Il est à noter que dans cette période de mutations, l’adolescent va chercher à consolider ses opinions et sa façon de voir le monde à travers ses pairs. Les amitiés prennent alors une grande importance dans sa vie et bien souvent cet adulte en devenir cherche une appartenance à un groupe qui lui permettra de s’affirmer et de trouver une place. Les goûts, notamment musicaux ont tendance également alors à se mutualiser. 2. La place de la musique et du chant dans la vie des adolescents : La palette émotionnelle de l’adolescent s’agrandit considérablement à l’adolescence. Aussi, les élèves de cette tranche d’âge sont particulièrement sensibles aux chansons traitant de l’amitié et de l’amour par exemple. La place de la musique dans la vie des collégiens est très importante. Véhiculée par l’éducation familiale, puis par l’école et le collège, la musique est aussi largement relayée par les médias. Les circuits commerciaux sont même des facteurs concurrentiels à l’éducation musicale apportée par la sphère familiale et par l’éducation nationale. Aussi, l’industrie musicale qui s’établit sur les principes de « rationalisation, standardisation, syncrétisation par récupération de bribes de styles variés et homogénéisation de ces styles» participent à une standardisation des goûts de la jeunesse. De ce fait, quand le professeur d’Education musicale propose une pratique vocale relié à ses objectifs pédagogiques, il va souvent se heurter aux goûts bien souvent formatés de ses élèves, ce qui complexifie sa tâche. Néanmoins, du fait de son caractère universel, la musique peut apporter à chacun plaisir, émotion et même relaxation. 3. Place de la pratique vocale en Education musicale dans le développement des adolescents : Tout d’abord, il convient de ne pas idéaliser l’activité vocale en classe d’Education musicale surtout en ces temps troublés où les comportements sont exacerbés. En effet : ▪ les paramètres affectifs (goût du moment, préférences stylistiques propres) ; ▪ les problèmes de justesse (les élèves n’ont que de vagues notions de techniques vocales et certains sont en période de mue) ; ▪ la question de la motivation au moment de faire l’effort de chanter (surtout si l’heure de cours est « mal placée » : tôt le matin la voix n’est pas réveillée, tard l’après-midi : les corps et esprits sont dispersés, dernière heure avant ▪ la pause méridienne : les élèves sont agités car ils ont faim ou sur la digestion : difficulté à redynamiser son corps) ; ▪ mais aussi les problèmes de discipline et les évènements potentiellement porteurs de tensions que la classe aura vécu dans la journées (disputes, interrogations surprises…) sont en prendre en considération et font partie des aléas avec lesquels il faut compter. Notons que la situation sanitaire actuelle génère des angoisses et tensions supplémentaires dans les classes (gêne du masque pour s’exprimer, manque d’oxygénation, perte des repères expressifs du visage…) Notons que dans la société actuelle, marquée par la suprématie du visuel et de l’image (cinéma, publicité, jeux vidéos…) le chant permet de redonner une place à l’audition. Le développement de l’ouïe est au centre de la pratique vocale : ▪ le travail de placement vocale favorise l’écoute de son corps ▪ le travail sur la justesse favorise l’écoute mélodique ▪ la polyphonie permet de se situer dans un groupe ▪ l’accompagnement au piano de l’enseignant favorise le cadrage rythmique et harmonique. Aujourd’hui, alors que le corps semble muselé par le port du masque et la peur du contact, le développement de l’audition prend donc une dimension très importante. Aussi, l’Education musicale, par la pratique du chant y obtient donc une place toute particulière en permettant à l’adolescent de s’ouvrir à l’espace sonore environnant tout en favorisant son centrage. * * * Après avoir fait le point sur les principales transformations à l’adolescence qui bouleversent le rapport au corps et donc à la production vocale, nous avons abordé la place qu’occupe la pratique du chant dans le développement des élèves du secondaire. Maintenant, nous allons nous intéresser à la façon dont la pratique vocale peut permettre de mieux vivre les contraintes de la pandémie dans le cadre scolaire et devenir un levier pour surmonter les difficultés cognitives voire le décrochage scolaire. Cette deuxième partie sera basée sur une expérimentation de terrain. * * * II. En quoi la pratique vocale permet-elle de mieux vivre les contraintes de la pandémie dans le cadre scolaire et devenir un levier pour surmonter les difficultés cognitives voire le décrochage scolaire ? En cette période de limitations en tous genres, l’expression artistique pourtant terriblement touchée par les restrictions (fermeture des lieux culturels, grandes contraintes limitant la pratique vocale ou instrumentale en groupe…) apparaît comme un besoin. Pour supporter les privations accumulées, les élèves désirent plus que jamais s’exprimer : le nombre d’adolescents s’inscrivant à une chorale scolaire est en pleine augmentation et les collégiens réclament régulièrement l’allongement du temps dévolu à la pratique vocale en classe. 1. L’importance de l’expression vocale derrière le masque : Les problématiques soulevées par le port du masque sont nombreuses : Difficulté à respirer et à se faire entendre, maux de tête, moiteur, perte de la perception d’ensemble, perte de l’expressivité des mimiques, risque de forçage vocal pour ne citer que les principales. Pourtant la pratique vocale reste un outil permettant de mieux vivre les restrictions présentes dans le système scolaire actuellement. Le climat qui règne aujourd’hui dans un établissement scolaire est grandement anxiogène : sens de circulation imposés dans les couloirs (et présence de nombreux sens interdits), interdiction aux élèves de manger avec leurs amis à la cantine (ils doivent rester avec leur classe), horaires délimités pour se restaurer (et classes appelées par l’intermédiaire d’un haut-parleur), obligation de mettre du gel hydro-alcoolique dès l’entrée mais aussi à la sortie d’une classe, restrictions concernant l’utilisation du matériel (y compris les instruments de musique en classe)… De plus, l’incertitude de la situation fait que d’un instant à l’autre, les élèves peuvent être renvoyés chez eux en cas de contact avec une personne ayant la COVID-19, voire de test se révélant positif les concernant. Cela entraîne des chamboulements concernant le type même de transmission du savoir passant du présentiel au distanciel souvent sans préavis (avec toutes les adaptations numériques que cela suppose). Aussi, l’école qui doit représenter un lieu de stabilité, notamment pour les adolescents connaissant des problématiques lourdes dans la sphère familiale, devient actuellement trop souvent un lieu d’angoisse et de peur. Dans ces conditions, les élèves se révèlent être en quête d’équilibre. Or, si l’Education musicale peut paraître accessoire, la pratique vocale qui en est l’une de ces principales activités paraît au contraire sous un jour nouveau. En effet, par son rapport direct au corps (pensons notamment au rôle de la respiration dans l’émission vocale), le chant apparaît actuellement comme une activité favorisant le centrage, l’ancrage physique et psychologique de l’individu. Ainsi, la pratique vocale permet de canaliser son énergie et ses peurs voire d’amoindrir ses souffrances par la sécrétion d’endorphine, l’hormone réputée favoriser le bien-être. Les remédiations doivent pourtant être nombreuses pour arriver à chanter avec un masque. Avant de retrouver le plaisir du chant il faut en passer par trouver des compensations à cette entrave. En effet, afin d’obtenir une émission vocale de qualité il convient de : ▪ pratiquer des exercices de relaxation pour détendre la musculature générale, ▪ revoir sa posture (maximiser l’étirement corporel et l’ouverture thoracique), ▪ gagner en qualité de respiration (acquérir la respiration dite abdominale qui permet un meilleur soutien vocal), ▪ Intensifier l’articulation et l’appui sur les consonnes ▪ Améliorer le placement de la voix dans les résonateurs naturel (boite crânienne) ▪ Diversifier les expressions et émotions qui sont véhiculés par le chant ▪ Engager plus fortement le corps (en « théâtralisant » sa gestuelle par exemple) Le rôle actuel d’un professeur d’Education musicale est donc actuellement de donner des outils de technique vocale, à la manière d’un professeur de chant. Malheureusement, devant l’effort didactique que ces adaptations nécessitent, beaucoup d’enseignants semblent avoir décidé de ne plus faire de pratique vocale en classe pour l’instant. Or, c’est préjudiciable, car c’est justement aujourd’hui qu’il faut s’engager dans cette démarche pour favoriser l’épanouissement des adolescents au milieu du marasme ambiant. 2. La pratique vocale : un outil transversal Tout d’abord, les outils de compensation mis en place pour la pratique vocale actuellement sont une aide précieuse pour les examens oraux que les élèves auront à passer durant les temps forts de leur scolarité dans le secondaire. Ainsi, que ce soit lors de l’épreuve orale de 3ème (oral de 20 minutes environ comptant pour 100 points dans l’attribution du brevet, soit ¼ des épreuves finales que les élèves passent à la fin de leur année scolaire) ou pour le grand oral du bac (épreuve d’argumentation de 20 minutes visant à vérifier connaissances, capacité d’argumentation, esprit critique, expression, qualité du propos, engagement et force de conviction du candidat), les outils de projection vocale acquis dans le cadre de la pratique vocale s’avèrent très utiles. Il n’est d’ailleurs pas rare qu’en temps normaux, les enseignants qui préparent ces oraux viennent demander conseil auprès du professeur d’Education musicale concernant les outils de l’expression orale. En ce moment, avec le port du masque, il semble évident que ces outils doivent être généralisés et portés à la connaissance du plus grand nombre. De plus, le chant représente souvent un biais pédagogique pour les autres matières. Prenons par exemple l’apprentissage d’une langue étrangère comme c’est le cas pour les élèves de collège. Afin de favoriser l’apprentissage de l’idiome nouveau, l’enseignant cherche avant tout à « créer un affect positif entre l’apprenant et la langue cible [4]». Cette démarche s’inscrit bien avant l’approche théorique (grammaire, syntaxe, prononciation…) car il s’agit de développer l’appétence pour la communication. Or la musique est un véritable vecteur culturel pour y parvenir. Faire découvrir des styles musicaux et pratiquer des chansons véhiculant cette langue sont donc des activités de choix. Ainsi nous touchons du doigt le fait que « l’art n’est pas une fin en soi, mais doit être un moyen de communication entre les individus [5]» favorisant l’échange et la cohésion. Mais la pratique vocale ne s’arrête pas à l’idée de donner le goût à l’apprentissage des langues. En effet, depuis l’école primaire, le chant accompagne les processus d’apprentissage. Ainsi, nombreux sont les enseignants du primaire qui font apprendre les tables de multiplication par l’intermédiaire d’une litanie chantée, ou qui transforme les règles de grammaire en formules mélodiques pour favoriser leur transmission. Ainsi nous touchons du doigt les valeurs cognitives du chant. Or, en cette période de perte de repères, il semble important de s’appuyer sur les outils propres à favoriser la cognition. 3. Le chant et la cognition en période de crise : La musique semble avoir un effet sur l’apprentissage par l’intermédiaire de la mémorisation. En effet, lorsqu’un enseignant désire transmettre une notion, il compte sur la mémoire de ses élèves pour fixer la compétence qu’il souhaite leur apporter. Or, une chanson allie un texte à une mélodie fixe et sa répétition permet d’établir une trace mnésique forte tout en restant ludique. Par les temps qui courent, la notion temporelle occidentale est mise à mal. Notre conception du temps passé/présent et futur est chamboulée par le défaut de projection dans lequel la situation sanitaire nous met. Ainsi les circuits mémoriels et l’anticipation sur le futur sont coupés, les individus se retrouvant comme prisonniers d’un présent incertain. Ainsi, l’exercice consistant à apprendre un chant par coeur permet de travailler sur le développement mémoriel des adolescents et contribuer à la structuration du temps. Les adolescents paraissent aujourd’hui très angoissés. Comment garder attention et motivation lorsque le sentiment d’inquiétude envahit son être ? Les adolescents sont en proie à des doutes existentiels exacerbés par la situation actuelle. « Allons-nous passer nos examens ? Trouverons-nous une orientation adéquate alors que l’issue même de l’année scolaire est incertaine ? Dans cette crise générale qui n’épargne pas l’économie, pourrons-nous nous insérer facilement sur le marché de l’emploi ? » Voici des questions récurrentes collectées par les conseillers d’orientation en ce moment. Ces questionnements parasitent les circuits cognitifs et amoindrissent la capacité énergétique d’adolescents déjà en proie à des changements physiques et psychiques qui les fatiguent. Aussi, l’attention en classe et la motivation pour accéder aux apprentissages sont bien souvent en berne actuellement. La pratique du chant nécessite l’acquisition d’une bonne respiration, si possible abdominale. Or, obtenir une respiration profonde et une gestion contrôlée de l’expiration nécessite une écoute de son corps, un centrage corporel. Les exercices pratiqués pour obtenir ce type de respiration sont d’ailleurs communs à bien des pratiques de relaxation. Yoga, sophrologie ou encore Chi kung pour ne citer qu’eux, développent tout comme le chant une respiration fondée sur la connaissance et la maîtrise du souffle, la concentration et le travail postural. Aussi, une pratique vocale bien menée dans l’Education nationale, qui s’appuie sur le respect du corps et son ancrage permet de gagner peu à peu cette respiration profonde, propice à la relaxation et favorisant l’ouverture cognitive. D’ailleurs, à mon sens, des exercices de respiration abdominale pourraient être proposés dans les différentes matières, lorsque l’attention et la concentration commencent à faire défaut. Cette dernière remarque est d’autant plus pertinente que le masque gêne la respiration. Aussi, marquer un temps d’arrêt dans les cours pour permettre aux élèves de faire des exercices de ventilation ne pourrait être que propice à l’apprentissage. Si les adolescents sont rarement à l’aise avec leur corps en pleine transformation, la crise sanitaire actuelle a tendance à accentuer le repli postural. Les attitudes telles que : épaules rentrées, dos courbé ou tête baissée sont particulièrement perceptibles depuis le début de la pandémie. Or, la pratique du chant rétablit une verticalité. Le Bulletin officiel insiste d’ailleurs sur l’importance du corps dans l’expression musicale chantée puisque la « Mobilisation du corps dans le geste musical contribue à l’équilibre physique et psychologique[6] ». Il est donc important de souligner que la pratique du chant ne se limite pas au travail de la voix, mais touche l’ancrage corporel à la manière de ce que décrivait la fondatrice de la psychophonie Marie-Louise Aucher en 1993 : « Aucun son valable ne peut sortir du larynx si les poignets, les bras, les muscles du dos, de la taille sont crispés ou bloqués ». Une bonne posture favorise les conditions d’une écoute de qualité. Ainsi, le travail sur la position du corps et la respiration apparaissent comme très importants pour faciliter la cognition. 4. La créativité : un outil contre le décrochage scolaire Le décrochage scolaire n’a jamais été aussi marqué que depuis le début de la pandémie. En effet, le confinement et la mise en place du distanciel semble avoir provoqué une perte de repères dans les apprentissages. Selon une étude parue dans la Revue généraliste de recherches en éducation et formation[7], l’enseignement à distance est un véritable mythe pour les collégiens. En réalité, la continuité pédagogique via les outils numériques a contribué à creuser les inégalités sociales et culturelles. En effet, durant le 1er confinement, tous les foyers n’étaient pas équipés correctement (ordinateur, imprimante, système de visioconférence efficace, connexion internet…). De plus, l’absence de lieu adéquat (un espace isolé pour se concentrer) et de matériel (cahiers et manuels souvent laissés dans l’établissement scolaire), la découverte d’outils non utilisés jusqu’alors en classe (logiciels de vidéoconférences…) mais surtout l’absence de l’enseignant et du rapport humain ont conduit à cette situation d’échec. Les valeurs que prônent l’école ne peuvent pas être remplacées intégralement par du numérique, surtout à un âge où les élèves ont besoin de contact et de rapport direct avec les adultes pour les aider dans leur construction. Les inégalités sociales et culturelles ont donc été largement creusées pendant ce confinement, d’autant plus que tous les parents n’ont pas pu suivre la progression de leurs enfants (on ne s’improvise pas enseignant !). Depuis septembre, l’école navigue à vue. Le retard accumulé depuis mars n’est pas comblé et la poursuite des inégalités continue. Aussi, la pratique vocale, qui n’est pas un enseignement pyramidal, c’est-à-dire qui nécessiterait un empilement du savoir dans le temps, s’avère particulièrement intéressante pour « colmater les brèches » du système. En effet, le bagage musical des élèves importe peu dans une activité de pratique vocale dans l’enceinte de l’Education nationale. Nul besoin de venir du conservatoire, d’avoir pris des cours de technique vocale ou de chanter dans un chœur pour adhérer à l’activité vocale proposée en classe. Et c’est bien là l’intérêt d’une activité dans laquelle chacun s’inscrit à la hauteur de ses compétences, sans jugement ni recherche de performance. L’interprétation de chansons n’est pas le seul axe de la pratique vocale en classe. Ainsi, la création fait tout aussi partie des programmes, s’inscrivant dans l’ensemble de compétences « Explorer, imaginer, créer et produire » détaillées dans les programmes[8]. Or, « L’imagination est tout ; c’est la prévision des prochaines attractions de la vie. L’imagination est plus importante que la connaissance. La connaissance est limitée. L’imagination encercle le monde » selon Albert Einstein. Ainsi, la notion de créativité musicale qui peut passer par l’invention de textes, de mélodies ou d’accompagnements musicaux élève l’individu au rang de novateur, de concepteur. Il peut ainsi libérer son pouvoir d’invention et gagner en confiance, en estime de soi. De plus, les programmes d’Education musicale encourage le travail en îlots, c’est-à-dire en petit groupe. De ce fait, la notion de créativité peut se partager à plusieurs et favorise ainsi la persévérance, l’écoute et l’entraide. La tolérance, le respect de l’autre et de l’altérité sont alors des compétences travaillées durant ce type d’activités. Des notions humanistes universelle dont on a bien besoin en ce moment. En guise de conclusion « Aujourd’hui, dans les sociétés occidentales, le besoin de geste artistique se manifeste partout et de plus en plus, de manières variées, éventuellement contestataires, revendicatives ou conquérantes ; mais presque toujours dans une perspective libératrice, ce qui est hautement significatif et révélateur [9]». Nous nous accorderons à penser tout comme l’auteur que l’accès à l’art est l’un des piliers fondamentaux de toute société dite démocratique. Or, l’éducation nationale est le creuset de cette ouverture au monde. Aussi, de l'école au lycée, le parcours d'éducation artistique et culturelle rendu obligatoire par la loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République de 2013 a pour ambition de favoriser l'égal accès de tous les élèves à l'art à travers l'acquisition d'une culture artistique personnelle. Ainsi, les bénéfices de l’enseignement et de la pratique du chant sont fondamentaux pour participer à cette acquisition. La population scolaire du secondaire que l’on retrouve en collège et lycée bouillonne d’énergie et vit la période tourmentée de l’adolescence avec grande vitalité. Dans un contexte actuel semble peu propice à l’expression où le masque musèle l’expression, où la distanciation sociale gêne les interactions et où les restrictions désolidarisent les groupes, la pratique du chant apparaît plus que jamais comme un rempart contre le et l’individualisme. Futurs citoyens dotés de droits, les adolescents doivent ainsi continuer à développer leur sensibilité artistique à travers la pratique du chant en milieu scolaire et faire ainsi grandir leur rapport à la liberté et à l’universalité. [1] V.HASWIRTH Valérie & J.RAPP Joséphine,« Chanter pendant l’adolescence en cours de musique », , ss la direction de Sabine Châtelain, mémoire professionnel ; HEP/ Haute école pédagogique, Lausanne, 2010, p. 9 [2] GALLIMARD Pierre, « 11 à 15 ans, mutations, conflits et découvertes de l’adolescence », Paris ; Ed. Dunod, 1998, pages 42/44/57 Cité in «Chanter pendant l’adolescence en cours de musique », op cit p. 10 [4] BOIRON Michel, Approches pédagogiques de la chanson, document en ligne http://www.tv5monde.com/TV5Site/upload_image/app_ens/ens_doc/26_fichier_approchechansons.pdf [5] « Franz Liszt », BOSSEUR Dominique, in Histoire de la musique occidentale, ss la dir. de Jean et Brigitte MASSIN, ed Fayard, 2003, p 791. [6] Ministère de L’Education Nationale, Bulletin officiel [on line] http://cache.media.education.gouv.fr/file/48/62/7/collegeprogramme-24-12-2015_517627.pdf [7] https://journals.openedition.org/rechercheseducations/10451#tocto2n5 [8] Ministère de L’Education Nationale, Bulletin officiel [on line] Op cit p. 276 [9] MANEVEAU, Musique et éducation, EDISUD, 2000, p.141
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